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Récit et composition musicale | Storytelling & musical composition with the talented Sylvain Lavoux
English version in blue.
Avertissement : à travers les "Humani-Story", nous vous proposons de découvrir des souvenirs de mission de travailleurs humanitaires. Les faits relatés sont des histoires vécues et nous vous informons que certains passages peuvent perturber les lecteurs les plus sensibles. Merci de votre attention.
Warning: through the "Humani-Story" series, you will discover memories of humanitarian workers' missions. The stories are based on true experiences and we inform you that some passages may disturb the most sensitive readers. Thanks for your attention.

CoCreate Humanity vous propose de vivre une expérience musicale très forte en émotions...
Sur la base de récits de travailleurs humanitaires, nous avons invité le talentueux guitariste Sylvain Lavoux à composer avec son ressenti personnel.
Nous vous invitons à lire le texte L' Ange, puis à écouter la composition musicale.
Lisez le récit, fermez les yeux et écoutez la musique...
CoCreate Humanity offers you a strong emotional musical experience...
Based on storytellings of humanitarian workers, we invited the talented guitarist Sylvain Lavoux to compose with his personal feelings.
We invite you to read the text The Angel, and then listen to the musical composition.
Read the storytelling, close your eyes and listen to the music...
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L'ANGE
Assis sur ma chaise de bureau, dans l’obscurité de ma chambre qui est devenue le lieu où je me sens le mieux depuis des années, les souvenirs me sont remontés petit à petit… Je les ai sentis dans mon ventre, dans ma poitrine, dans un pincement au cœur, dans ma gorge, dans mon épaule droite, un long parcours jusqu’à pouvoir « cracher » ces mots sur un clavier, au bout de mes doigts.
En tant que travailleur humanitaire, et notamment en tant que logisticien et mécano, j’ai été sur des zones opérationnelles à travers le monde, toute ma carrière. J’ai cette impression étrange d’avoir eu plusieurs vies, d’avoir parcouru des milliers de kilomètres, et j’ai trop souvent vécu des cauchemars éveillés aussi.
A cet instant, je ferme les yeux, j’inspire et j’expire profondément, jusqu’à sentir le dévalement des larmes sur mon visage. Ces larmes. Voilà qu’elles me replongent des années en arrière.
Avril 2002 à Brazzaville, c’est la fin de l’après-midi et l’heure du couvre-feu approche. Comme d’habitude, je ferme le bureau et je dis au revoir à toute l’équipe. Il n’y a pas de bruit dehors, juste cette tension dans l’air, cette manifestation de la peur, qui est presque palpable… bref, rien de bien nouveau en soi. Le contraste avec le beau ciel bleu est toujours saisissant. Ici, en République du Congo, le ciel bleu, la chaleur et l’humidité ne sont pas synonymes de vacances mais de violence et de peur. C’est pourquoi j’aime tant la pluie tropicale, car tout s’arrête lorsqu’il pleut des trombes d’eau.
La rue que j'emprunte est en ruine et désertée. Elle est seulement coupée par le checkpoint de la police que je passe sans difficulté, car la sortie du garage est à quelques dizaines de mètres seulement de leur position.
Je continue avec la Toyota Land-Cruiser, bardée des emblèmes de la Croix-Rouge, et je vais acheter mes boîtes de conserves de poulet compressé pour mon repas du soir chez le commerçant libanais, propriétaire du seul magasin ouvert ici. C’est pratique, il habite juste au-dessus, et c’est aussi le seul endroit qui ne soit pas démoli dans tout le secteur du quartier industriel.
Quatre ans auparavant, tout a été détruit pendant les combats et jamais reconstruit. Sans compter qu’il y a toujours des munitions non explosées et des ossements au milieu des décombres. L’autre jour encore, j’ai aperçu des os blanchis de l’autre côté du mur.
C’est sûrement la proximité de la caserne qui a découragé les gens de revenir sur les lieux, et seuls ceux qui habitaient là sont toujours là, parmi les ruines, puisque ce sont eux les ossements. Le seul îlot de vie est notre garage. Il jouxte l’entrepôt de la Croix-Rouge et quatre maisons, comprenant un bar et une boutique, à la limite de la zone dévastée.
A la boutique, je retrouve le libanais avec la charmante serveuse du bar d’à côté, qui est aussi sa voisine. Ils sont en grande discussion sur la situation du moment. En cette fin de journée, c’est ma halte habituelle, et c’est aussi le moment de détente avant de retrouver ma chambre. Tous les deux me connaissent très bien. Le bar et la boutique sont les lieux de rencontres de tous les mécanos et chauffeurs, donc ils savent tout de moi, ils savent tout du « Chef » comme ils aimaient m’appeler !
J’admets que le seul « attrait » du bar sont le sourire et l’humour de la serveuse. En fait, c’est pour elle que l’on s’arrête tous car elle est un véritable rayon de soleil. Elle n’est plus toute jeune et sans famille. L’intégralité de sa famille a été tuée quatre années plus tôt durant les combats, alors depuis, toutes les personnes fréquentant l’endroit sont devenues comme une famille élargie. Ils sont tous obligés de s’entraider pour survivre dans cet environnement hostile.
Le libanais lui fait de l’œil à chaque fois, et la situation en devient drôle avec sa femme qui le surveille en faisant les gros yeux. D’ailleurs, celle-ci est une amie de la serveuse. Cela ajoute au rocambolesque de la scène, car la serveuse se joue bien de lui et le gros bonhomme tombe toujours dans le panneau ! Dotée d’un certain embonpoint, sa femme ne se joint jamais à nous car elle surveille la boutique, son homme, la caisse et le comptoir. Quand j’y repense, le lieu était sacrément exigu et misérable.
La serveuse est une petite femme, souvent en mini-jupe, qui rit à pleines dents à longueur de temps. Lorsqu’elle est en service, elle met des chaussures parées de grosses semelles de bois pour se grandir et prend ainsi bien quinze centimètres ! Cela m’avait d’ailleurs surpris la première fois que je l’ai rencontrée, et c’est alors qu’elle m’avait montré son « bricolage en bois » sur ses chaussures de « travail ». C’est une femme qui a l’esprit vif et qui est très intelligente. C’est une ancienne étudiante qui a appris à survivre seule, et bien qu’elle n’ait pas été épargnée par la vie, il faut dire qu’elle a une sacrée joie de vivre !
Elle sait parfaitement comment distraire les clients. Il nous semble alors que le coca chaud a bien meilleur goût quand il est servi avec son humour et son clin d’œil. Les frigos ne fonctionnent pas, et le bar ne propose rien d’autre qu’une marque de bière et de coca. Ce lieu est un havre de paix pour nous tous car les policiers n’y viennent pas, l’endroit est trop « pauvre » pour eux. Dès qu’ils approchent, notre amie disparaît illico, elle sait bien ce qu’ils sont capables de lui faire et personne ne les en empêchera.
Après ma séance de « socialisation », et selon les consignes de sécurité, je rentre par une rue différente chaque soir pour éviter les kidnappings. La nuit tombe vite sur les tropiques, et comme souvent je sais que j’arriverai à la maison à l’entrée en vigueur du couvre-feu.
La rue que j'emprunte ce soir a une zone d’ombre, juste après le virage à angle droit entre les deux murs. C’est à ce moment-là, dans la lumière des phares, que je les ai vus, que je l’ai vue…
Quatre soldats, en tenue de camouflage, sans insigne, ils retiennent quelqu’un. C’est juste à deux cents mètres de ma résidence. Instinctivement,par réflexe je plante les freins et je commence à réaliser ce qui se passe devant moi. Je suis pétrifié d’horreur, je n’arrive pas à croire ce que mes yeux voient.
Il y a une jeune femme au milieu des soldats ! Ils sont en pleine séance de torture ! Deux soldats la maintiennent, jambes et bras écartés contre le murgris, la lumière des phares les surprend et jette une lumière éclatante sur cette scène. Un des soldats lui coupe un sein avec sa baïonnette, et celui qui est accroupi se tourne soudainement vers moi et prend son arme.
Je la vois distinctement. Elle est entièrement nue. C’est une grande et jolie jeune femme, son petit sein droit et rond saigne, et une baïonnette est enfoncée, très profondément jusqu’à la garde, dans son sexe par le soldat qui est accroupi. C’est un choc immense et l’image se grave au fer rouge dans mon cerveau… La violence de la scène m’assomme par son atrocité !
Au même instant, je découvre son beau visage avec de larges yeux marrons, ils sont grands ouverts. Elle a des traits doux, un visage légèrement ovale avec un nez très étroit, et sa bouche, aux lèvres fines sans défaut, semble esquisser un sourire qui dévoile des dents d’un blanc éclatant. Elle me fixe… Son regard se fige dans le mien. Sa peau est lisse, sans défaut, sans poil, ni bouton, c’est une jeune femme d’une grande beauté et ils sont en train de la saccager, de la martyriser.
Je m’aperçois que c’est un ange qui me regarde. Son visage dégage une aura paisible, sans rictus de douleur. Il y a comme une expression de calme,une sensation de douceur totalement paradoxale avec ce qu’elle est en train de subir ! J’ai l’impression qu’elle me voit et qu’elle a de la peine pour moi. C’est le chaos total dans mon esprit, c’est inimaginable, c’est impossible…
Le soldat accroupi se retourne et se relève. Je vois sa peur et je distingue sa main sur le levier d’armement de la Kalachnikov. La scène semble se dérouler au ralenti. C’est comme si le temps se figeait et que tout devenait clair et limpide… Je sens qu’il va tirer, je le devine à travers ses gestes. J’ai l’impression d’être dans une autre dimension, que le temps est sur « pause » et que cette femme, cet ange, me regarde avec cette force immense qui émane d’elle et me rassure. A ce moment précis, j’ai l’impression qu’elle est avec moi et que l’on ne forme plus qu’un.
Soudain, par réflexe, l’instinct du mécanicien sans doute, je redémarre la Land-Cruiser dont le moteur a calé sans même que je ne m’en rende compte. Le rugissement du six cylindres diesel me sort de ma torpeur. Le temps semble tout d’un coup repartir. Au bruit du moteur, le soldat se fait menaçant et il avance vers moi, toujours ébloui par les phares. Il agite nerveusement son arme et continue de progresser dans ma direction en me faisant signe de « foutre le camp ». Il est à moins de deux mètres de moi et je vois qu’il a identifié l’emblème sur mon véhicule et l’institution dont il dépend, je le sens alors hésiter.
Je m’exécute et je pars vite, aussi vite que la route défoncée me le permet. C’est finalement le virage qui va me couper de sa ligne de tir. Je roule à fond, en tirant sur la première sans même penser à passer la deuxième. Le moteur grince de douleur, je suis groggy par le choc, et j’agis par de simples réflexes car mon esprit est à la fois lucide et totalement en miettes. Le hurlement du moteur et sa coupure automatique de sécurité, avant qu’il ne casse, me réveillent et me ramènent à la réalité. Je suis à l’arrêt et le moteur est au ralenti, il semble reprendre son souffle lui aussi.
Sur l’horloge du tableau de bord, je constate qu’il ne s’est passé qu’une poignée de minutes alors que cela m’a paru une éternité ! Je suis devant le portail de la résidence. Comment suis-je arrivé là ? Je n’ai pas eu conscience d’avoir évité les pièges et les trous de la piste boueuse où la voiture aurait pu basculer. Elle aurait pu tomber dans le profond caniveau en béton qui longe la piste d’un mètre de large, c’est un « grand classique » dans ces nuits noires.
Le garde m’ouvre, tel un automate. Je gare la voiture et me dirige vers ma chambre. Je suis donc seul avec lui alors que je partage normalement la maison avec deux autres collègues, mais ils ont été évacués. J’essaie tant bien que mal de reprendre mes esprits mais la violence du choc me trouble toujours. Que faire ? Quoi faire et comment ? Je veux la sauver, je dois la sauver.
Je sais que dehors ils tirent sur toutes les personnes qui bravent le couvre-feu. Je n’ai aucune idée du temps qu’il m’a fallu pour reprendre possession de mes moyens. Les téléphones fixes et mobiles sont coupés, comme toujours en cas de crise. Il me reste la radio VHF et je décide d’appeler la « radio room ». Celui-ci me demande des précisions : le nom de la rue, ou du moins ce qui pourrait lui permettre d’identifier l’endroit. La belle affaire ! Il n’y a pas de nom de rue, et encore moins de numéro dans ce coin, et en plus, j’ai pris la route « au petit bonheur la chance » pour retourner à la zone résidentielle. C’est un labyrinthe de rues dans un agencement totalement anarchique de maisons et de taudis.
Je réalise que je ne sais rien. Je refais le parcours de manière abstraite et théorique avec lui. La « radio room » veut contacter les autorités pour leur transmettre l’information, mais il me fait aussi comprendre que, malheureusement, c’est souvent « l’autorité » qui est l’auteur de ce type d’atrocité, et, qu’en temps de troubles, les femmes subissent toujours.
J’hésite... Je veux la retrouver mais le garde a été averti de ne pas me laisser sortir. Il n’a que sa compassion à m’offrir et il me dit que ce qui s’est passé est « normal », car c’est la guerre, oui, c’est la guerre dehors ! Je m’indigne car il ne s’agit pas de combats ici. C’est un meurtre de sangfroid, pire que cela, c’est la négation de la vie ! Je suis tellement en colère. Ces hommes ne peuvent pas être désignés comme des êtres humains, ils sont encore moins des bêtes. Par leur barbarie ils sont devenus des choses, ils ne valent plus rien pour moi ! Je les hais ! Je les hais ! Et je ne peux rien faire…
Ce jour-là, j’ai réellement saisi ce que signifiait la « Loi de Murphy » et qu’il n’y avait aucune limite dans l’horreur... Ce que je crois être le pire ne l’est pas, il y a toujours « pire que le pire ». Et en ce qui me concerne, ce n’était que le début d’une longue série.
Depuis, cette jeune femme inconnue fait partie de ma vie. Elle est un ange, mon Ange.
Je suis lié à elle dans mon esprit. Elle m’accompagne, depuis vingt ans, sous la forme d’une statuette de bois clair, toute simple, qui représente une femme avec une jarre de terre cuite sur la tête, typique de l’Afrique. Je l’avais achetée au marché, juste après cette nuit-là, et elle fait désormais partie de ce que j’ai de plus précieux.
Je n’ai pas peur de la mort, parfois, je voudrais la rejoindre. Je me remémore cette femme comme une véritable pureté de vie, un joyau brut. Et, si aujourd’hui je ne crois plus en Dieu, je suis certain que les anges existent, oui ils existent, car il y en a un qui a croisé mon chemin.
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THE ANGEL
Sitting on my desk chair, in the darkness of my room, which has become the place where I have felt at my best for years, the memories came back to me little by little... I felt them in my belly, in my chest, in a pinch in my heart, in my throat, in my right shoulder, a long journey until I could "spit" these words on a keyboard, at my fingertips.
As a humanitarian worker, and in particular as a logistician and mechanic, I have been in operational areas around the world all my career. I have this strange feeling of having had several lives, of having traveled thousands of kilometers, and I have too often experienced waking nightmares too.
At that moment, I close my eyes, I breathe in and out deeply, until I feel the tears falling down my face. Those tears. Now they take me back years.
April 2002 in Brazzaville, it is late afternoon and curfew time is approaching. As usual, I close the office and say goodbye to the whole team. There is no noise outside, just this tension in the air, this manifestation of fear, which is almost palpable... in short, nothing new in itself. The contrast with the beautiful blue sky is always striking. Here in the Republic of Congo, the blue sky, the heat and humidity are not synonymous with holidays but with violence and fear. That's why I love tropical rain so much, because everything stops when it rains downpours.
The street I am taking is in ruins and deserted. It is only cut off by the police checkpoint which I pass without difficulty, as the garage exit is only a few dozen meters from their position.
I continue with the Toyota Land-Cruiser, bearing the Red Cross emblems, and I go to buy my cans of compressed chicken for my evening meal from the Lebanese shopkeeper, owner of the only shop open here. It's convenient, he lives right above it, and it's also the only place that isn't demolished in the whole industrial district.
Four years earlier, everything was destroyed during the fighting and never rebuilt. Not to mention that there are still unexploded ordnance and bones among the rubble. Just the other day I saw bleached bones on the other side of the wall.
It is surely the proximity of the barracks that discouraged people from returning to the place, and only those who lived there are still there, among the ruins, since they are the bones. The only island of life is our garage. It adjoins the Red Cross warehouse and four houses, including a bar and a shop, on the edge of the devastated area.
At the shop, I find the Lebanese man with the charming waitress from the bar next door, who is also his neighbour. They are having a big discussion about the current situation. At the end of the day, it is my usual stopover, and it is also the moment of relaxation before going back to my room. They both know me very well. The bar and the shop are the meeting places for all the mechanics and drivers, so they know everything about me, they know everything about the "Chief" as they liked to call me!
I admit that the only "attraction" of the bar is the smile and humour of the waitress. In fact, it is for her that we all stop because she is a real ray of sunshine. She is no longer young and without family. Her entire family was killed four years earlier during the fighting, so since then, everyone who frequents the place has become like an extended family. They all have to help each other to survive in this hostile environment.
The Lebanese guy makes eyes at her every time, and the situation becomes funny with his wife who watches him with big eyes. Moreover, she is a friend of the waitress. This adds to the incredible scene, because the waitress plays him well and the fat man always falls for it! His overweight wife never joins us because she watches the shop, her man, the cashier and the counter. When I think back, the place was pretty cramped and miserable.
The waitress is a small woman, often in a miniskirt, who laughs her head off all the time. When she is on duty, she puts on shoes adorned with large wooden soles in order to grow up and thus takes a good fifteen centimeters! This surprised me the first time I met her, and it was then that she showed me her "wooden DIY" on her "work" shoes. She is a quick-witted and very intelligent woman. She is a former student who has learnt to survive on her own, and although she has not been spared by life, she has quite a zest for it!
She knows exactly how to entertain customers. It seems to us that hot coke tastes much better when served with her humour and wink. The fridges don't work, and the bar offers nothing but a brand of beer and coke. This place is a haven of peace for all of us because the policemen don't come here, the place is too "poor" for them. As soon as they approach, our friend disappears immediately, she knows what they are capable of doing to her and nobody will stop them.
After my "socializing" session, and according to the safety instructions, I go home by a different street each evening to avoid kidnapping. Night falls quickly in the tropics, and as so often, I know that I will arrive home when the curfew comes into effect.
The street I'm taking tonight is in a shadowy area, just after the right-angled bend between the two walls. It was at that moment, in the light of the headlights, that I saw them, that I saw her...
There are four soldiers, in camouflage uniforms, without insignia, and they are holding someone. It's just a couple of hundred meters from my residence. Instinctively, by reflex, I step on the brakes and I begin to realize what is happening in front of me. I am petrified with horror; I can't believe what my eyes see.
There is a young woman among the soldiers! They are in the middle of a torture session! Two soldiers hold her, legs and arms spread out against the grey wall. The light of the headlights surprises them and casts a bright light on the scene. One of the soldiers cuts off one of her breasts with his bayonet, and the crouching one suddenly turns towards me and takes his weapon.
I see it clearly. She is completely naked. She is a tall and pretty young woman, her small, straight, round breast is bleeding, and a bayonet is pushed, very deeply into her sex by the soldier who is crouching down. It's a huge shock and the image burns into my brain with a red-hot iron... The violence of the scene stuns me with its atrocity!
At the same moment, I discover her beautiful face with wide brown eyes, they are wide open. She has soft features, a slightly oval face with a very narrow nose, and her mouth, with fine flawless lips, seems to outline a smile that reveals bright white teeth. She is staring at me... Her gaze freezes in mine. Her skin is smooth, without blemish, without hair or pimples, she is a young woman of great beauty and they are ransacking her, tormenting her.
I realize that it's an angel looking at me. Her face radiates a peaceful aura, without a grin of pain. There is an expression of calm, a sensation of softness that is totally paradoxical with what she is going through! I have the impression that she sees me and feels sorry for me. It's total chaos in my mind, it's inconceivable, it's stupefying...
The crouching soldier turns around and gets up again. I see his fear and I can see his hand on the Kalashnikov's arming lever. The scene seems to unfold in slow motion. It is as if time stands still and everything becomes clear and limpid... I feel that he is going to shoot, I can tell by his gestures. I have the impression that I am in another dimension, that time is on "pause" and that this woman, this angel, is looking at me with this immense strength that emanates from her and reassures me. At this precise moment, I have the impression that she is with me and that we are one.
Suddenly, by reflex, the mechanic's instinct no doubt, I restarted the Land-Cruiser whose engine stalled without me even realizing it. The roar of the six-cylinder diesel engine takes me out of my torpor. Time seems to start again all of a sudden. At the sound of the engine, the soldier becomes threatening and moves towards me, still dazzled by the headlights. He nervously waves his weapon and continues to move towards me, waving "get the hell out". He is less than two meters away from me and I see that he has identified the emblem on my vehicle and the institution on which it depends, so I feel him hesitating.
I do it and I go fast, as fast as the rough road allows me. It is finally the bend that will cut me off from his line of fire. I drive at full speed, accelerating in the first gear without even thinking of switching to the second one. The engine squeaks with pain, I am groggy from the shock, and I act with simple reflexes because my mind is both lucid and totally in pieces. The screeching of the engine and the automatic safety cut-off, before it breaks, wake me up and bring me back to reality. I am at a standstill and the engine is idling, it seems to catch its breath too.
On the clock on the dashboard, I can see that only a handful of minutes have passed, whereas it seemed like an eternity! I am in front of the gate of the residence. How did I get there? I didn't realize that I had avoided the traps and holes in the muddy track where the car could have tipped over. It could have tipped over into the deep concrete gutter that runs along the meter-wide track, a "great classic" in these dark nights.
The guard opens for me, like an automaton. I park the car and go to my room. I am alone with him, although I normally share the house with two other colleagues, but they had been evacuated. I try as hard as I can to come to my senses, but the violence of the shock still troubles me. What can I do about it? What to do and how? I want to save her; I have to save her.
I know that outside they are shooting at anyone who braves the curfew. I have no idea how long it took me to regain full command of my faculties. Fixed and mobile phones are cut off, as always in a crisis. I still have the VHF radio and I decide to call the "radio room". The radio room asks me for details: the name of the street, or at least what could help to identify the place. Big deal! There are no street names, and even less a number in this area, and what's more, I took the road "just by chance" to return to the residential area. It's a maze of streets in a totally anarchic arrangement of houses and slums.
I realize that I know nothing. I go over the route with the radio operator in an abstract and theoretical way. The "radio room" wants to contact the authorities to pass on the information, but it also makes me understand that, unfortunately, it is often the "authority" that is the author of this type of atrocity, and that, in such times of unrest, women always suffer.
I hesitate.... I want to find her, but the guard was warned to not let me out. He has only his compassion to offer to me, and he tells me that what happened is "normal", because it's war, yes, it's war outside! I am indignant because we are not talking about fighting here. It is cold-blooded murder, worse than that, it is the denial of life! I am so angry. These men cannot be called human beings, they are even less than beasts. By their barbarity, they have become things, they are worthless to me! I hate them! I hate them! And I can do nothing...
That day I really understood what "Murphy's Law" meant and that there was no limit to the horror! What I believe to be the worst is not, there is always "worse than the worst". And as far as I'm concerned, that was just the beginning of a long series.
Since then, this unknown young woman has been a part of my life. She is an angel, my Angel.
I am connected to her in my mind. She has been accompanying me for twenty years in the form of a simple light wooden statuette, representing a woman with a terracotta jar on her head, typical of Africa. I bought it at the market just after that night, and it is now among my most precious possessions.
I am not afraid of death, sometimes I would like to join her. I remember this woman as a true purity of life, a raw gem. And, if today I no longer believe in God, I am certain that angels exist, yes they do, because there is one who has crossed my path.
SYLVAIN LAVOUX : L'ANGE | THE ANGEL